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DATE DE PUBLICATION : 3 JUILLET 2024

C’est ce que révèle un article publié dans The Lancet Global Health. Aujourd’hui, le continent africain est le plus durement touché par le développement de la résistance aux antimicrobiens (RAM), ce qui marque un tournant décisif dans les défis sanitaires auxquels la région est confrontée. Une réalité qui appelle une réaction urgente. Dr Daouda Sissoko, infectiologue et Directeur médical bioMérieux Afrique, revient sur les causes et les conséquences de ce fléau.

D’après l’étude menée par Mohsen Naghavi et ses collègues, la résistance aux antibiotiques aurait provoqué en 2019 plus d’un million de morts sur le continent africain, notamment chez des patients souffrant d’infections des voies respiratoires inférieures et du thorax (48% des décès), de septicémies, d’infections intra-abdominales et de tuberculose. « Cette étude montre que c’est l’Afrique qui paye le plus lourd tribut à la mortalité liée à l’antibiorésistance », souligne Daouda Sissoko. « Paradoxalement, la région africaine de l'OMS est celle où la mortalité liée à la RAM est la plus élevée alors que la prévalence connue de la RAM est relativement plus faible. » Alors pourquoi un tel fléau ? « C’est en Afrique que la mortalité par infection est la plus élevée », explique Daouda Sissoko. « L’étude montre que 25% de ces décès sont imputables à la résistance des bactéries aux antibiotiques. Etant donné le nombre de malades, le bilan devient vite particulièrement lourd. »

L’antibiorésistance est souvent considérée comme un concept de laboratoire, déconnectée du devenir patient. Or, cette étude permet d’associer directement antibiorésistance et mortalité. « Avec une véritable mesure du phénomène, même imparfaite, et non plus de simples projections, elle nous met face à une évidence qui ne peut plus être ignorée ». Alors que l’antibiorésistance est beaucoup plus mortelle que le paludisme et le VIH réunis, elle a été la cible jusqu’à présent de beaucoup moins d’actions concrètes par les autorités nationales et internationales. « Cela montre bien une absence de prise de conscience », souligne Daouda Sissoko. 

Pourquoi l’Afrique est-elle la principale victime de l’antibiorésistance ?

L’article du Lancet révèle que les quatre pathogènes les plus fréquemment en cause dans les pays africains sont Streptococcus pneumoniae, Klebsiella pneumoniae, Escherichia coli et Staphylococcus aureus. Les infections à pneumocoques, en particulier, y sont particulièrement mortelles. « Cela ne devrait pas arriver car il existe un vaccin contre les pneumocoques », déplore Daouda Sissoko.

Pour lui, outre l’insuffisance de la vaccination, les raisons du lourd tribut payé par l’Afrique sont à chercher dans de multiples facteurs, à la fois structurels et comportementaux. En particulier, les populations sont surexposées aux infections : les conditions sanitaires sont mauvaises, les infections sont diagnostiquées tardivement et, quand elles le sont, les antibiotiques disponibles pour les traiter ne sont pas toujours efficaces. A ces facteurs s’ajoutent un mauvais contrôle de l’infection dans bon nombre d’hôpitaux, ainsi qu’un déficit de formation chez les professionnels de santé. Les laboratoires médicaux sont peu nombreux, et les résultats d’analyses se font attendre plus qu’il n’est nécessaire car il n’existe pas ou peu d’interactions entre cliniciens et biologistes. De plus, la prescription empirique d’antibiotiques est une pratique courante, que les médecins aient ou non accès à des analyses, une ancienne habitude bien ancrée qui remonte à l'époque où il n'y avait pas de laboratoires. 

Une autre initiative, The Mapping Antimicrobial Resistance and Antimicrobial Use Partnership (MAAP), s’est intéressée aux données des laboratoires concernant la consommation d’antibiotiques et la résistance dans 14 pays africains de 2016 à 2019. Elle a révélé que seuls 1,3% des laboratoires de ces pays réalisaient des analyses bactériologiques, que 80% des laboratoires participant à l’étude réalisaient moins de 1000 tests de sensibilité aux antimicrobiens par an, et que seulement un tiers des pathogènes résistants prioritaires pour l’OMS étaient systématiquement testés dans ces pays. Ainsi, les systèmes de surveillance – quand ils existent - ne sont pas robustes.

La situation des pays africains est d’autant plus critique qu’elle est amplifiée par la pauvreté, comme le montre la comparaison dans l’article du Lancet de différents pays de la zone. Plus le niveau socio-économique de la population est faible, plus l’antibiorésistance est élevée. « L’infection résistante crée encore plus de pauvreté, enfermant les patients dans un cercle vicieux où les dépenses de santé s’envolent : les soins coûtent plus cher, les traitements sont plus longs, et les patients ne peuvent pas aller travailler pour les payer », explique Daouda Sissoko.

Comment le diagnostic peut-il contribuer à lutter contre le fléau ? 

Diminuer la morbidité et la mortalité liées aux infections passe par une plus grande sensibilisation à la prévention, par une meilleure prise en charge thérapeutique, et par la mise en place de systèmes de surveillance robustes pour informer les pratiques médicales et les politiques de santé.

« Le diagnostic est un outil essentiel pour diminuer l’errance thérapeutique et le fardeau des traitements non informés », indique Daouda Sissoko. « Il permet de fournir immédiatement une information clé pour arrêter de prescrire des antibiotiques à l’aveugle, guider correctement le traitement du patient et lutter contre les épidémies, en évitant que la résistance s’installe et se diffuse dans les hôpitaux. Et en passant moins de temps dans les hôpitaux, les patients sont moins exposés aux pathogènes ».  Le diagnostic peut ainsi contribuer non seulement à réduire la mortalité mais également à baisser les coûts de prise en charge des patients.

Pilier essentiel de la surveillance des pathogènes, le diagnostic permet d’augmenter la précision des informations collectées pour faciliter les actions correctives et faciliter un usage raisonné des antibiotiques. L’objectif : donner le bon antibiotique, au bon patient, au bon moment, et pendant la bonne durée.

Quelles actions prioriser ?

Pour Daouda Sissoko, plusieurs actions sont fondamentales pour lutter contre le fléau de l’antibiorésistance en Afrique :

  • Accentuer les efforts en matière de prévention et de sensibilisation des populations,
  • Former les professionnels de santé,
  • Mettre en place les infrastructures nécessaires pour que les hôpitaux aient un accès permanent à un diagnostic biologique de qualité et que le diagnostic final des infections cesse d’être du diagnostic présomptif basé uniquement sur des hypothèses cliniques très peu discriminantes,
  • Développer des politiques publiques qui facilitent la mise en place de ces actions correctives.

“Les actions mises en place doivent être monitorées, évaluées, réajustées, sachant que la mise en place d’un système de surveillance efficace est complexe et demande du temps et de l’accompagnement. Elle implique de nombreux acteurs et repose sur une appropriation collective. ”

Daouda Sissoko

bioMérieux propose aux états qui souhaitent développer un plan national de lutte contre l’antibiorésistance son expertise en matière de surveillance et d’utilisation raisonnée des antibiotiques. Nous participons également à la sensibilisation des professionnels de santé au problème de l’antibiorésistance, au renforcement de leur expertise en matière de prise en charge des infections et au développement des interactions entre médecins et professionnels de laboratoires. Cela passe notamment par de nombreux programmes d’éducation médicale, en partenariat avec des experts locaux.


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